Val
Blog digital
Val
Blog digital

Journalisme en Jazz mineur : vers une presse pour les initiés

journalisme jazz

Je lisais un article dans lequel une citation de Thibaut Bruttin (Directeur de Reporters sans Frontières) comparait le devenir du journalisme au Jazz. Il y expliquait que le journalisme pourrait devenir un truc de niche, réservé à des initiés férus d’informations de qualité. Intéressant, n’est-ce pas ? Alors que la majorité se gave de contenus viraux, biaisés ou générés par des IA. La désinformation se répand à toute vitesse ; la défiance envers les médias traditionnels ne cesse de croître en même temps qu’ils perdent leur visibilité sur les réseaux. C’est dans ce contexte de malbouffe intellectuelle qu’est née la Journalism Trust Initiative (JTI), un label certifiant attribué aux médias qui respectent des standards de transparence et de rigueur journalistique. L’objectif : offrir aux lecteurs et aux plateformes numériques un repère fiable pour distinguer les sources d’information de qualité – ou dignes d’un bon jazz si vous préférez.

Un label réglé comme du papier à musique

Portée par Reporters sans Frontières, ce tampon de fiabilité est attribué aux bons élèves du journalisme. Une certification censée rétablir la confiance, et donner le tempo d’un journalisme rigoureux, mais qui risque de sonner faux pour une partie du public. Rappelons que 62% des Français pensent qu’il faut se méfier des médias sur les grands sujets d’actualité. C’est un naufrage.

Face à la montée des discours anti-médias, face aux plateformes qui privilégient la viralité au détriment de la véracité, la JTI veut offrir un repère.

En s’inspirant des certifications ISO, la JTI repose sur une évaluation stricte (130 critères) des pratiques éditoriales : indépendance des rédactions, gestion des conflits d’intérêts, transparence sur les financements, ou encore existence de mécanismes de correction. Les réponses sont rendues publiques dans un rapport de transparence qui peut faire l’objet d’un audit par un organisme externe. C’est un processus vraiment rigoureux, pas seulement une autorité qui décrète qui est fiable et qui ne l’est pas. Le label est international et plusieurs grands médias ont déjà adopté.

Effectivement, alors que les fake news se propagent six fois plus vite que la vérité et que l’information devient une arme de guerre culturelle, on se dit que c’est peut-être une bonne idée. Mais je me pose plusieurs questions.

  • La JTI peut-elle réellement restaurer la confiance du public ou n’est-ce pas encore un élément qui peut attiser cette défiance qu’elle est censée combattre ? Les lecteurs pourraient y voir une nouvelle tentative de légitimation du journalisme qu’ils contestent.
  • Et surtout, face à des plateformes numériques qui privilégient l’engagement et la viralité, un tel label, tout soutenu et fiable qu’il soit, peut-il peser sur les algorithmes pour garantir une meilleure visibilité aux médias qu’il certifie ?

Changer le disque de la défiance

Les médias labellisés JTI seront-ils plus crédibles ? Trouveront-ils le bon groove pour convaincre ? La question mérite d’être posée. Les citoyens, déjà défiants, vont-ils accorder du crédit à un label validé par des instances médiatiques ? Parce que c’est là que ça coince : une partie du public ne rejette pas seulement les fake news, elle rejette les médias tout court.

La crise de confiance n’est même plus une question de véracité, c’est une fracture idéologique. Si la certification est perçue comme un outil de légitimation du journalisme traditionnel, elle risque d’aggraver la fracture plutôt que de la résorber.

Ajoutons qu’aucun média, aussi rigoureux soit-il, n’est totalement neutre. Les biais existent. Les choix éditoriaux, les angles de traitement, les mots choisis influencent forcément la perception de l’information. On peut garantir une méthodologie, mais pas une objectivité absolue. Et dans un climat où chaque camp crie à la manipulation dès qu’un article ne va pas dans son sens, l’erreur, le pas de coté inévitable d’un média labélisé, pourrait être encore plus lourdement sanctionné par la confiance des lecteurs.

Orchestrer l éducation aux médias

A mon sens, ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’un tampon de validation des médias. C’est d’une éducation aux médias, aux algorithmes et à l’esprit critique. Comment vérifier une source, identifier un biais, croiser les informations ? Former des citoyens capables d’accorder eux-mêmes leur discernement aux différentes tonalités de l’information, plutôt que de leur dire quels médias sont fiables.

Avec un label comme JTI, on demande au citoyen une confiance bête et aveugle qui ne va pas dans ce sens. Je crois que le citoyen ne veut plus qu’on lui dise « ça tu peux croire, ça tu peux pas ».

Pour moi c’est le véritable problème. Il y a un risque, chez ceux qui défient les médias, que ce label soit perçu comme infantilisant. Et comme une énième tentative d’imposer une vision du monde.

Fausse note avec les plateformes

Autre ambition de la JTI qui me paraît digne du doux rêve : aider les médias certifiés à peser sur les algorithmes des plateformes.

L’idée, c’est d’imposer un standard de fiabilité aux géants du numérique et d’obliger Facebook, X, TikTok ou Google à privilégier les médias labellisés dans leurs résultats de recherche et leurs fils d’actualité.

Vraiment ? Qui croit encore que Meta et Google vont se plier aux exigences des médias ? Même l’Europe n’arrive pas à les faire plier.

Les plateformes fonctionnent avec des logiques opaques et inaccessibles. Un label, aussi vertueux soit-il, ne pèsera jamais face à une IA qui privilégie ce qui capte l’attention plutôt que ce qui informe.

Sans compter que Meta vient d’abandonner le fact-checking. Facebook et X réduisent déjà la visibilité des articles de presse. Les plateformes ne veulent pas promouvoir l’info, elles veulent maximiser l’engagement.

  • L’info fiable, ça fait moins de clics qu’une vidéo conspi sur TikTok ou qu’un thread énervé sur X.
  • Et certaines infos vont plus dans le sens des intérêts des plateformes que d’autres.

Les médias espèrent s’imposer aux plateformes, mais la vérité, c’est que les plateformes ont déjà imposé leurs règles aux médias. Ce sont les algorithmes qui dictent la mesure. JTI ou pas ; European Media Freedom Act ou pas.

L’information est devenue une variable d’ajustement dans un système dominé par les algorithmes. Et ça, aucun label, ni aucune règlementation ne pourra le changer d’un coup de baguette magique ; ce n’est pas l’Europe qui dira le contraire.

L’illusion, c’est de croire que les médias peuvent encore négocier avec les plateformes. La réalité, c’est qu’ils sont prisonniers d’un système conçu pour maximiser le temps passé sur les écrans, pas pour éduquer ou informer. C’est pourquoi il me semble naïf de penser que la JTI va changer les règles du jeu.

Le jazz, mieux c’est, moins les gens l’apprécient

Faut-il enterrer la JTI ? Non. Ce label sera sans doute utile pour beaucoup.

  • Pour les amateurs de Jazz en fait. Un petit club privé, réservé aux amateurs éclairés.
  • Il peut aussi aider les médias à structurer leurs pratiques, à afficher leur transparence.
  • La JTI pourrait aussi aider les IA à sélectionner leur sources pour la production de réponses génératives.

Mais croire qu’il va restaurer la confiance du public ou changer la dynamique des plateformes, c’est beaucoup trop optimiste – amha.

Si l’objectif est de garantir une information fiable, alors il faut aller plus loin :

  • Éduquer aux médias et à l’esprit critique, plutôt que d’imposer des certifications.
  • Accepter que l’objectivité totale est une illusion et travailler à diversifier les voix médiatiques.
  • Réduire la dépendance des médias aux plateformes sociales, car leur logique n’est pas compatible avec la production d’une information de qualité.

Un label ne suffira pas à réparer un monde où l’information est devenue un champ de bataille.

Comme le jazz, l’information de qualité exige une écoute attentive, un effort. Mais l’époque est aux morceaux courts et aux refrains accrocheurs. Si personne n’écoute la mélodie…

Add a comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Prev