C’est ainsi que commence 2025. Par ce violent volte face de Zuckerberg sur la politique de modération de Meta, qui intervient juste avant l’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche. Dans une vidéo balancée sur Instagram, Zuck – chaîne en or autour du cou – annonce alléger la modération sur les réseaux sociaux de Meta et remplacer le fact-checking par les notes de communauté, directement inspirées du fonctionnement de X. Ponctué de références au vocabulaire musko-trumpiste (immigration, genre, médias traditionnels, censure, liberté d’expression), le discours du patron de Facebook et Instagram fait clairement allégeance au nouveau Président. Mais surtout, il plante le décor d’un nouveau paysage de l’information.
Sommaire
Nouvelle ère de l’information
Cette annonce va profondément impacter l’écosystème numérique mais aussi la marche du monde. On le constate de plus en plus, les réseaux sociaux ont un impact direct sur la société, la vie politique et les opinions. Avec toutes les conséquences que cela implique pour nos démocraties : influence des élections, polarisation des opinions, orientation des décisions… Algorithmes, influenceurs, bulles de filtres… les raisons d’exercer un contrôle sur les réseaux sociaux existent. La question est : qui doit effectuer ce contrôle et comment ?
Alors que deux visions s’opposaient – celle de Musk et d’une liberté d’expression décomplexée poussée à son paroxysme, et celle de Zuckerberg, traditionnellement progressiste et orientée vers une modération parfois zélée – le mur vient de tomber. Nous basculons dans un monde radicalement polarisé, où la démocratie semble sur le point de payer le prix fort de ses imperfections.
Libération de la parole ou escalade vers le chaos ?
Beaucoup y voit l’opportunité de reprendre le contrôle sur leur vie. De punir le mépris de ceux qui ont exercé le pouvoir et pris les décisions. Mais en réalité, c’est la haine qui prédomine et la recherche du chaos plutôt que la proposition de solutions éthiques. Sans un cadre solide, la fin du fact-checking risque de transformer l’information en champ de bataille idéologique. L’alternative au moins pire, sera forcément pire.
Je suis souvent effaré de voir certaines fictions dépassées par les réalités technologiques ; de voir certaines séries Netflix faire pâle figure face aux événements géopolitiques. Comme si notre société était restée trop longtemps affalée dans son canapé à consommer des séries et qu’elle ressentait soudain le besoin de vivre des aventures dignes d’un film.
Quand l’information devient un champ de bataille
Le web est en pleine mutation et bouleverse notre façon de chercher et consommer l’information. L’intelligence artificielle est en train de redessiner le paysage et les comportements du web. Saturation, standardisation, déshumanisation, l’information est engagée sur une pente extrêmement glissante, et il semble que rien ne puisse arrêter sa transformation. Mais ce n’est pas le sujet ici, et bien que je rédige cet article d’un trait, je vais essayer d’éviter au maximum les digressions.
Parlons du journalisme citoyen
Le journalisme citoyen encouragé par l’homme le plus riche du monde à coup de « vous êtes les médias maintenant » enfonce le clou de la perte de confiance et du désaveu des médias traditionnels.
Attention, je n’ai rien contre le journalisme citoyen, au contraire, j’aime l’idée que chacun puisse contribuer à la diffusion de l’information quand celle-ci se fait au profit de la qualité, de la vérité, du savoir et de la connaissance. C’est, quelque part, l’essence même d’Internet. Mais toute personne qui tweete ne peut pas être considérée comme un journaliste. Une opinion n’est pas un fait !
Le problème avec le journalisme citoyen, c’est qu’il est souvent engagé et opposé aux journalistes et médias traditionnels. Il revendique une liberté d’expression et une indépendance que les médias, soumis à la censure des puissants, n’auraient pas. Cette posture transforme les journalistes professionnels en falsificateurs au service d’une bien-pensance imposée, et fait des journalistes citoyens les pseudo-détenteurs d’une vérité au service du peuple.
Confusion opportuniste et dangereuse sur laquelle appuie Elon Musk : en qualifiant les utilisateurs de X de nouveaux médias, il insinue qu’ils viennent remplacer les médias et journalistes traditionnels. Comme si la réaction instantanée, impulsive, soumise à l’égo, pouvait remplacer le travail d’investigation journalistique.
Notes de la communauté, liberté d’expression et liberté de nier les faits
Avec la suppression du fact-checking, ce sera donc désormais aux notes de la communauté qu’il faudra se référer pour connaître la vérité. Faire confiance à la foule. Pourquoi pas ? Le procédé se révèle parfois efficace. Mais il est loin d’être infaillible.
Selon une étude du Center for Countering Digital Hate, 74% des posts contenant de la désinformation sur les élections américaines n’avaient pas de Community Notes.
Lors de la tentative d’assassinat de Donald Trump en juillet 2024, seuls 5% des posts conspirationnistes les plus populaires ont reçu une Community Note.
Et le système fonctionne lentement. Certaines notes prennent parfois jusqu’à 70 heures pour apparaître. Compliqué dans le contexte de l’instantanéité des réseaux sociaux : le mensonge a déjà fait le tour du monde le temps que la vérité mette ses chaussures.
Mais le problème va bien au-delà de l’absence ou du retard de modération. Ce qui se joue ici, c’est un basculement où la majorité silencieuse, déjà fragilisée par la défiance et l’infobésité, devient encore plus vulnérable aux manipulations et stratégies d’influence des groupes extrêmes. Un basculement où les réseaux sociaux deviennent le terrain de jeu des idéologies qui savent manipuler les émotions et les algorithmes.
Récapitulons.
- Risque de manipulation par des groupes organisés.
- Manque potentiel d’expertise des contributeurs sur certains sujets.
- Délai parfois long avant la publication des notes.
- Absence d’intervention humaine laissant l’algorithme seul décisionnaire.
Les notes de communauté dans leur fonctionnement actuel, relègue la vérité factuelle à une question de votes ou de tendances.
Décentralisation du contrôle de l’information
L’annonce de Zuck pourrait aussi marquer la fin d’un modèle vieillissant.
On évoque souvent le besoin d’éducation aux médias et aux algorithmes. Or mettre entre les mains des utilisateurs le pouvoir d’informer et modérer l’information peut être une idée pour responsabiliser les foules face à l’information et à la désinformation. C’est peut-être là l’opportunité à saisir : une transition vers une responsabilité collective pour maintenir un discours sain. C’est peut-être aussi l’opportunité pour les créateurs de contenus de se démarquer en produisant de la confiance grâce à de l’information de qualité, documentée.
Peut-on y croire ? Un peu naïf n’est-ce pas ? Dangereux, en tout cas : placer le contrôle entre les mains d’utilisateurs en proie aux algorithmes et aux campagnes de manipulation.
Cette annonce de Zuck sur la modération intervient quelques jours après que j’ai publié cet article sur l’importance d’avoir un blog en 2025. J’y défends l’idée suivante (entre autres) : bien que l’information passe aujourd’hui beaucoup par les réseaux sociaux, l’audience que vous y développez ne vous appartient pas. Vous êtes dépendant du reach, des algorithmes, des règles. Cette nouvelle direction que prend Meta (et l’écosystème numérique) vient conforter ma décision de rouvrir ce blog.
Faut-il quitter X, Facebook and co ?
Un mot sur cette idée qu’il faudrait quitter X, Facebook, Instagram… Pas sûr que ce soit la chose à faire ; il faudrait laisser ces espaces à la haine ? Plutôt occuper le terrain pour défendre ses idées non ? Mais peut-on occuper le terrain quand c’est l’algorithme qui donne visibilité et véracité aux idées ? On ne quitte pas le monde parce qu’il part en vrille (même si certains l’ont fait).
Faut-il bannir ces réseaux au niveau européen ? Peut-on se le permettre aujourd’hui ? L’Europe est déjà bien assez en retard. Je me demande d’ailleurs comment l’Europe va sauver la face dans cette situation où elle est déjà empêtrée dans des couches de règlementations (RGPD, DSA, IA Act) qui la coupent de l’innovation, et sur lesquelles les US et la Chine s’essuient les pieds. Mais c’est un autre sujet.
Censure, liberté d’expression et désinformation
Concluons cet article qui commence à devenir long (merci à vous si vous êtes arrivé ici).
Il y a donc d’un côté, ceux qui voient cette évolution de la modération comme une chance de reprendre le contrôle, d’échapper à la censure institutionnelle, de réhabiliter une parole libre débarrassée du politiquement correct. De l’autre, ceux qui comprennent que ce modèle risque de laisser place à une lutte d’influence brutale, où les minorités les plus bruyantes et les plus organisées imposeront leur version du réel.
Alors oui, cette nouvelle politique de modération de Meta risque de libérer la parole. Mais à qui profite réellement cette liberté ? Car ce qui se dessine, ce n’est pas un espace ouvert et démocratique, mais un champ de bataille idéologique duquel seul le chaos peut émerger.